Archives de l’auteur : La Parisienne Libérée

Le Mix : «Prison dedans, prison dehors !»

Un État répressif qui plaide coupable, des détenus-dehors qui se surveillent eux-mêmes, des cellules par milliers, quelques mutineries, et la fin du régime d’exception pour les prisonniers politiques basques :


Voir sur YoutubeVoir sur VimeoTélécharger l’audio – Lire sur Mediapart

« Prison dedans, prison dehors ! »

L’ÉTAT RÉCIDIVISTE

L’État français est régulièrement condamné
Pour les mauvais traitements qu’il inflige aux prisonniers
Locaux vétustes, fouilles à nu injustifiées
Traitements dégradants, atteintes à la dignité

Privation de soins, violences au mitard
Manque de lumière, d’air, d’espoir
Il y a des puces, des poux, des rats
Dans les cages de l’État

C’est dans ces conditions que notre président
Est allé rendre une visite d’agrément
À la Cour européenne chargée des droits humains
Et leur a tenu ce discours plein d’entrain :

E. Macron
Ne pas vouloir voir cette part maudite de la communauté nationale, chercher à la cacher, à la faire vivre dans   des conditions indignes, c’est se condamner.

Ce petit exercice d’autoflagellation
Cet examen de conscience d’un roi bel et bon
Doit persuader les juges de se montrer patients
Objectif : gagner du temps

E. Macron
C’est pourquoi j’ai le projet de créer une agence pour encadrer et développer le travail d’intérêt général.

Une nouvelle agence ! Quelle aventure !
Que la part maudite des Français se rassure !
Une petite agence du travail forcé
En période de chômage, une riche idée !

Priver de travail ceux qui en voudraient un
Et obliger les autres à travailler pour rien
La prison est en marche et elle tourne en rond
Comme une promenade dans une cour en béton

***

APPEL GÉNÉRAL À LA PROMENADE

France : Prisons nouvelles – 1980
« Bois-d’Arcy, c’est la prison électronique. La première sensation de vertige passée, on y découvre un univers entièrement automatisé. À chaque étage de la tour centrale, écrans de contrôle, télécommandes pour ouvrir les cellules et interphones pour communiquer avec les détenus. Appel général ! D2, préparez-vous pour les promenades ! Même la radio distillée dans les cellules est commandée de ce pupitre. Le surveillant scrute – et agit – à distance. [Bip ! Bip ! Bip !] Oui ? Chef ! Je n’ai plus de lumière dans ma cellule ! »

Mutinerie dans les prisons – JT FR3 du 30 avril 1990
Bonsoir, la nervosité qui règne dans les prisons françaises préoccupe sérieusement le gouvernement, qui tente de désamorcer la crise en voulant résoudre au plus vite le problème aigu du surpeuplement.

N. Belloubet
Aux côtés d’un plan de construction de 15 000 nouvelles places de prison…

J.-J. Urvoas
Entre 10 300 et 16 100 cellules…

N. Sarkozy
30 000 places de prison supplémentaires !

Mutinerie dans les prisons – JT FR3 du 30 avril 1990
Mais cette promesse suffira-t-elle à calmer les détenus ? Pas sûr.

G. Mouesca
Depuis 200 ans que la prison existe, on sait que chaque fois qu’on construit une nouvelle prison, elle est de suite pleine et fait l’objet de surpopulation rapidement. Ça, c’est une loi qui ne souffre aucune exception : ça a toujours été comme ça.

 

***

PEINES ALTERNATIVES ?

L’État est philanthrope, il aime ses citoyens
Et comme dit le dicton, qui aime bien châtie bien !
Pour exercer gentiment sa mission punitive
Il promeut des peines dites alternatives

N. Belloubet et E. Macron
Bracelet électronique ou placement extérieur notamment (…) développer des peines dites alternatives (…) de véritables enquêtes de personnalité au stade présentenciel.

«Votre enquête au stade présentenciel a révélé que vous êtes issu d’un milieu bourgeois. Vous pouvez y aller, c’est bon pour cette fois !»

Cela n’empêche pas de construire des prisons
Pour le plus grand bonheur des marchands de béton
Et de tous ceux qui profitent d’un marché
Totalement captif et subventionné

À qui profite la taule ? – 2014
En 2015, 54 établissements pénitentiaires sont en gestion déléguée, ce qui représente près de 49 % des places en cellules, contre 36 % en 2009, une belle progression. Deux entreprises dominent le secteur : Sodexo, avec 34 prisons, et GDF Suez devenue Engie, avec 16 prisons.

Dans un état d’urgence désormais chronique
La peine alternative est un instrument politique
Qui sert avant tout à diffuser la répression
Et certainement pas à fermer des prisons

Ainsi le bijoutier de la République
En investissant dans le bracelet électronique
N’oublie pas les menottes, bien au contraire,
Mais complète sa gamme de chaînes sécuritaires

Le détenu-dehors devient son propre maton
Administre sa peine, en assure la gestion
Tandis que le pouvoir, optimisé,
S’offre un panoptique à longue portée

France : Prisons nouvelles – 1980
Si le confort a changé, le but – privation de liberté – reste identique.

M. Foucault sur Radio Canada en 1971, cité dans Sur les toits, un film de Nicolas Drolc
Je ne sais pas, d’ailleurs, s’il peut y avoir de bonnes prisons. Je tiens en principe que toute répression est mauvaise. Je tiens également en principe que tout État est répressif. Et, de là, je conclus que tout État est mauvais.

***

MUTINERIES

Mutinerie à la prison de Bourg-en-Bresse
La mutinerie éclate lorsqu’une vingtaine de détenus mettent le feu à des matelas et des poubelles dans une coursive au deuxième étage de l’un des bâtiments du centre de détention. La tension montait depuis le début de la semaine à Bourg et l’explication est à chercher du côté de la buanderie, une pièce commune dégradée : les machines à laver sont en panne.

Élise Lucet, 1990
150 détenus ont refusé de rentrer dans leur cellule après la promenade : ils protestent contre la surpopulation dans cette prison, qui accueille 900 détenus pour 290 places. Enfin, nouvelle mutinerie cet après-midi à la maison d’arrêt de Douai, où une cinquantaine de détenus se sont réfugiés sur les toits. C’est la deuxième révolte à Douai, en deux jours.

Jean-Pierre Elkabbach en 1972, cité dans le film de Nicolas Drolc Sur les toits
Vous vous souvenez sans doute de l’agitation qui avait touché plusieurs prisons françaises à la fin de l’année dernière, et au tout début de cette année 72…

C. Hoffman, dit « Jacky », témoignage récent dans le film Sur les toits
Et dans le réfectoire, j’ai dit : « Qu’est-ce que tu veux faire ? Y en a pas un qui bougerait, si on faisait quelque chose. » Et puis j’ai entendu une paire de trois qui disaient : « Ouais, euh ouais ouais ! » Alors, je me suis levé, et puis j’ai dit : « Bon, ben toi, t’es capable de casser ? Ben on fait une mutinerie, alors, dans ces conditions-là. » Voilà ! Et on a discuté, on s’est mis tous sous le lit, on n’a pas dormi, pratiquement, de la nuit. Le surveillant est monté : il venait nous chercher, pour ouvrir. Et puis quand il est arrivé, ben on avait prévu tout à l’avance, et on lui a dit : « Bon, ben, vous partez. C’est la mutinerie. » Et on avait sauté sur les bancs, sur tout ce qu’il y avait. Comme c’était un escalier qui descendait, après c’était une voie sans issue, on a tout jeté en bas pour bloquer le passage. Parce qu’après, il y avait la forge qui était en bas, et puis on a eu accès aux masses, à tout… Puis on s’est retrouvé dans toute la prison. C’est comme ça que ça a commencé à casser, hein.

***

 

PRISONNIERS BASQUES

[Candice]
Les Basques sont un petit peuple préhistorique
Qui passe son temps à faire des chants polyphoniques
À manger du fromage, à boire de l’Izarra
Fabriquer du piment et préparer des attentats

Mais voilà qu’ETA – quelle drôle d’idée ! –
Est désormais désarmée
Imaginez un peu le vent de panique
Que cette annonce a semé dans les sphères politiques

Comment justifier nos lois d’exception
Nos unités d’élite, nos agents, nos espions ?
Tous nos dispositifs antiterroristes
Anéantis par la paix, mon Dieu ! Que c’est triste !

À Louhossoa, le dernier coup de filet
N’a servi qu’à ridiculiser l’État français
Heureusement, pour se venger
Il lui reste encore quelques prisonniers

G. Mouesca
La politique d’éloignement et de dispersion touche la grande majorité des prisonniers politiques basques, et leur famille. Nombre de prisonniers et prisonnières basques sont soumis à des peines que des spécialistes internationaux de politique pénitentiaire et pénale considèrent comme une forme de peine de mort lente. Vengeance, aussi, quand nombre de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire leur font payer le prix de leur désarmement, annoncé, organisé, assumé. Il y a comme un goût de revanche qui plane dans les coursives des prisons, françaises et espagnoles.

[LPL]
Le 9 décembre, les Basques montent à Paris
Après Fresnes, Réau, Fleury
Ils seront tous à Montparnasse vers midi
Et espèrent avoir un peu de compagnie

Contre l’isolement, la dispersion
Les peines de mort lente qui ne disent pas leur nom
Contre la violence des régimes d’exception
Dans ces lieux d’injustice que sont les prisons

[Générique : défilé de Joaldunak au Pays basque]

Audio

L’ensemble des contenus créés par La Parisienne Libérée sont placés sous licence creative commons pour les usages non commerciaux. En cas de problème technique lié à la lecture des fichiers, vous pouvez essayer de les lire directement sur YouTube et Vimeo (vidéo) ou sur Soundcloud (audio). Un grand merci à Mimoso pour son aide documentaire sur cette chronique.